La préparation
Ça y est. Je suis installé à Lisbonne. Dans quelques jours le tournage de mon film va commencer. Au début, pour les repèrages, les français sont peu nombreux au Portugal. La pression monte tout doucement. La grande partie des techniciens est restée en France préparer le tournage à Paris durant le mois d’Août. David, le chef opérateur, Sylvain mon assistant, Maggie la scripte, Benjamin le directeur de production sont à Lisbonne avec moi. Camille pour les costumes prépare le terrain mais elle nous quittera vite pour avancer sur la partie française. Judith, la chef déco était déjà de l’aventure des « amateurs », et on repart pour un tour ensemble avec grand plaisir ! Le reste de l'équipe arrive au fur et à mesure que le tournage approche.
Les journées s’égrènent à une vitesse hallucinante ! Repérage pour trouver les derniers décors du film, casting des petits rôles portugais, mise en place du plan de travail autant dire que les nuits sont courtes. Mais j’essayerai tout de même de prendre le temps de vous raconter l’aventure du tournage. J’ai mis un an à écrire « Fragile(s) » , Pauline, ma productrice, a mis un an pour trouver le financement et enfin nous y voilà. La trouille au ventre bien sûr, parce que le tournage d’un film est une aventure, une sacrée aventure même. Mais la joie l’emporte, le plaisir de passer du temps avec mes comédiens, de mettre enfin en images mon histoire, de la faire grandir et vivre, tout cela me rend fier. Alors merci Pauline, merci de me permettre de faire « Fragile(s) ». Cela me donne une sacrée force -et il m’en faut !- pour aller au bout. Je suis impatient.
Le vendredi, avant veille du tournage, la ville est en effervescence, le Portugal a gagné, le Portugal est en demi-finale de la coupe du monde ! Toute l’équipe de production portugaise est folle de joie. Avec David, Sylvain et Elodie on est parti voir le match sur écran géant,
au Parc Meyer. Après la séance de tirs aux buts l’ambiance est indescriptible, tout Lisbonne est dans la rue, la ville est rouge et verte, les gens crient et s’embrassent, on crie Portugal Olé ! le cri de guerre des supporters portugais. Miguel, notre chauffeur a les yeux qui brillent de bonheur, il nous souhaite bon courage. D’habitude il supporte le Brésil, mais, nous dit-il, comme on est là, il sera avec la France ce soir. Et nous voilà parti à la recherche d’un bar avec écran géant pour vivre ce moment ! Je me laisse aller, après tout le film on y pensera après. Et on se rêve à penser d’une demi-finale France-Portugal en plein tournage. Je commence à en avoir des sueurs froides. J’imagine l’équipe technique coupée en deux, les Portugais d’un côté, les Français de l’autre et forcément jeudi prochain, des perdants qui me plombent l’ambiance du film. À 20 heures, heure locale, on est installé sur les docks dans un bar qui grouille de brésiliens, les drapeaux auriverde flottent au vent, les « Brasil, Brasil » retentissent ! À quatre au milieu de deux cents brésiliens, on se sent bien sûr un peu seuls. Mais le match aidant on se met à faire du bruit comme mille tout en vérifiant nos arrières des fois que… Certains supporters brésiliens nous regardent bizarrement, d’autres rigolent à nous voir nous agiter. Sylvain perd sa voix, David monte sur sa chaise, Thierry Henry vient de marquer ! On s’embrasse, on jubile dans un silence autour de nous soudain devenu assourdissant. La préparation du film et toutes ses galères sont oubliées. On est des supporters heureux ! Quelques brésiliens les larmes aux yeux viennent nous féliciter. Voilà, c’est fait, mercredi mon équipe de film sera coupée en deux. Et moi dans tout ça, de papa portugais, de mère française, je me situe où ?
La France rencontre le Portugal en demi-finale de coupe du monde alors que nous sommes à Lisbonne en train de tourner mon film. Impression étrange ! J’ai peur mercredi que les supporters portugais se mettent à klaxonner avant le match, pendant que l’on tournera ! L’ingénieur du son risque de devenir fou. Heureusement mercredi nous tournons en intérieur. C’est déjà ça ! Mais je sais aussi que quoi qu’il arrive il nous sera impossible de faire des heures supplémentaires, je n’aurai plus personne sur le plateau à 19 heures, une heure avant le match. Bon, pour cette journée-là, au moins les choses sont claires, il faudra finir à l’heure.
Le rythme du tournage est costaud. À peine le temps de dormir. Il faut enquiller les plans et tout à la fois trouver le temps de réfléchir, de prendre du recul. Je passe mes journées à répondre aux questions de chacun. En règle générale la journée commence par la vérification des costumes des comédiens, en tout cas pour les premiers jours. Je me suis réservé un petit choix, quelques variantes, différents costumes possibles, pour décider au dernier moment, c’est-à-dire le jour même du tournage. Camille la chef costumière a préparé des semaines avant les différentes options que l’on a évoquées, il y a eu également les essayages avec les comédiens, mais j’aime me dire que l’on peut encore changer au dernier moment ce qui impose de prévoir une garde-robe modulable. Notamment pour les hauts, chemises, chemisiers, débardeurs, pour éventuellement les adapter aux éléments de décor le jour même. Il y a aussi les coiffures, surtout pour les filles. Les accessoires, la marque de cigarettes que fume mon personnage, le style de ses lunettes de soleil, l’intérieur de sa maison, le genre de tableau qu’il accroche aux murs, le style de son mobilier. Les voitures bien sûr, il est écrit que le héros monte dans sa voiture s’agit-il d’une berline, d’un break, d’une voiture de ville ? À moi de choisir. De répondre à des questions auxquelles je n’avais même pas pensé. Mais d’y réfléchir car le moindre détail peut modifier le sens d’une histoire. Cela m’évoque le personnage de Sara, joué par Sara Ma rtins qui est une jeune comédienne très belle. Aux premiers essais costume, je me suis laissé grisé par la beauté de la comédienne. Et nous l’avons habillé pour la rendre plus belle encore, avec de petites robes et des hauts qui mettaient ses formes en valeur et puis très vite je me suis rendu compte que cela ne servait pas l’histoire parce ce que le personnage de Sara est quelqu’un qui doute d’elle-même, qui ne se voit pas comme nous la voyions. Sara est une beauté qui se découvre lentement, quelqu’un qui se trouve transparent, jamais en accord avec les gens et les lieux qu’elle fréquente. En décalage, en fragilité donc. Quelqu’un qui se cherche. Elle ne pouvait donc pas apparaître comme une jeune femme belle et resplendissante, une beauté assumée. Il fallait que nous, spectateurs, fassions le même chemin qu’elle. Qu’elle se transforme au fil du film. Et ainsi la découvrir petit à petit. C’est pour cela que naturellement nous avons modifié son look. Pour le rendre plus sobre au début du film. Et de plus de plus en plus éclatante.
L’histoire se déroule dans trois lieux différents, à Lisbonne d’abord, c’est l’histoire de Sara et Paul, en Province ensuite, l’histoire de Nina et Yves, puis à Paris, celle d’Hélène et Vince. Le tournage du film se découpe de la même façon avec trois semaines de tournage en Juillet à Lisbonne et ses environs, et au mois d’Août et début Septembre à Paris et province. L’histoire du tournage commence naturellement au Portugal.
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