Fragile(s), le Blog du réalisateur, avec François BERLEAND, Marie GILLAIN, Jean-Pierre DARROUSSIN, Jacques GAMBLIN ...

Album photo

Moment de creux en cette fin novembre, comme le temps qui s'était installé en un été indien tardif, et puis brusquement les chutes de température, la pluie, et on se dit que tout revient à la "normale", que notre terre est fragile... Temps de réflexion sur le montage pour le réalisateur, temps qui n'était pas propice à l'écriture, sur le blog.

Temps de réflexion pour moi aussi car la plupart des musiques sont écrites... La suite se jouera au montage son et au mixage.

Et puis le réalisateur a eu une idée, pour qu'on continue à partager ces moments ensembles, vous faire prendre en photo vos porte-bonheur, vos gris-gris. Tiens, je vais m'y coller aussi, on va voir ce que ça donne.

A bientôt,

Sur le blog

Denis.

Un week-end,

un simple week-end où l’air est humide et le ciel bas et gris. Je travaille sans travailler, j’essaie de me rendre utile. À quoi ? je me demande encore. Je tourne en rond, n’arrive à écrire que quelques pauvres lignes arides et plates. Me regarde dans la glace par réflexe, parce qu’en me levant, m’aperçoit qu’une glace a été placée là devant moi, comme pour le faire exprès. Détourne vite les yeux, rien d’intéressant. Bouge mon portable pour ne plus avoir à croiser le regard de l’importune. Me gratte la tête et du coup me trouve bien seul devant ce crétin d’écran qui se met en veille toute les cinq minutes. M’amuse donc à faire une ligne de « r » en maintenant mon doigt sur la touche. Et trouve que cette ligne est bien plus belle que toutes celles écrites précédemment. Tente une autre avec les « i ». ouais, pas mal aussi quoiqu’un peu hystérique les « i ». Finalement efface la ligne de « i ». je finis une cigarette et essaie toutes les positions possibles et imaginables pour la tenir d’une manière décontractée et inspirée. Me fais rire, d’ailleurs m’en faut pas beaucoup. Ouais, enfin, ça dépend. Fais des ronds avec la fumée. Attends mercredi. Et essaye de ne pas y penser. Mercredi, première projection privée sur grand écran du montage image avec toute l’équipe de production et de distribution du film. Ne pas y penser. Mais rien à faire. Ou plutôt si, mais du coup tout me semble vide. Pas de stress particulier, non, juste du vide à la place. Hésite à reprendre une cigarette. C’est ça le blues alors, l’attente entre deux états ? En portugais on dit la « saudade », la nostalgie du marin à terre qui contemple la mer. Bon, la comparaison est limite, j’ai pas tellement le pied marin moi. Ai plutôt envie d’un léger souffle de liberté pour m’envoler sur une nouvelle histoire, une nouvelle aventure, de nouveaux personnages. Parce que Sara, Paul, Nina, Yves, Hélène et Vince ne m’appartiennent plus. Mais j’ai hâte qu’ils viennent enfin vers vous. Qu’ils vous parlent. Qu’ils vous touchent et vous fassent rire comme des amis proches avec qui l’on passe une soirée en confiance, parce qu’avec eux il est inutile de paraître, de jouer la comédie de la vie, parce qu’ils nous connaissent si bien, parce qu’ils sont comme nous, plein de petits défauts exaspérants et de qualités insoupçonnables. C’est ça les amis, non ?

Petite explication technique :

Après le montage images du film commence le travail du monteur son (les périodes se chevauchent toujours un peu). Il a pour mission : d’harmoniser l’univers sonore de chacune des scènes, de rajouter les ambiances des décors (par exemple le brouhaha d’un café quand une scène du film s’y déroule, parce qu’évidemment pour bien entendre les dialogues des comédiens, l’ambiance n’a pas été crée en direct au tournage), de placer certains sons qui manquent (comme des aboiements de chien, ou des babillages d’enfants par exemple). Tout ceci prend encore plusieurs semaines.  Sans compter quelques jours de bruitage, où le bruiteur va recréer à l’image quelques sons (les bruit des pas, un sac en papier que l’on froisse, etc…). Ajoutez à cela un ou deux jours de post-synchro, qui consiste à doubler les dialogues du film qui pour des raisons techniques ne sont pas utilisables.

Enfin, et pour finir, le mixage du film (comptez trois semaines environ, pour mon film) permettra de créer le style sonore du film, notamment en 5.1, le système d’écoute dans une salle de cinéma. Le mixage est une opération délicate qui place les voix des comédiens, la musique, les ambiances diverses à leur place, le son étant aussi important dans la narration (mais plus inconscient pour le spectateur), que l’image du film. Pendant ce temps, des petites mains habiles dans le laboratoire cinéma (LTC, pour ne pas les nommer, sur mon film), découperont le négatif des rushes comme il leur aura été indiqué sur le montage vidéo du film, pour constituer le négatif du film. Une fois l’opération effectuée, un double sera tiré de ce négatif, à partir duquel les copies positives du film (celles qui seront projetées dans les salles) seront tirées. Il y a bien d’autres opérations techniques encore (comme la création du générique, le mixage gravé sur la pellicule, l’étalonnage du film…) dont je vous passe les détails. J’y reviendrai sans doute, en temps et en heure. Quand on vous dit que le cinéma est une vraie industrie… La magie viendra après, le jour de la sortie du film…

Tous les comédiens me manquent

Mettre des mots et plus encore des images à cet imaginaire, raconter une histoire avec des personnes qui ont le même souci que vous, de la raconter le plus justement possible, pouvoir se transporter ailleurs tout en restant le même, un rêve de gosse. Il y a un côté très naïf dans tout cela. Mais je revendique cette naïveté.  Je n’ai pas envie de voir mon métier autrement. J’aime cette énergie, ces sensations, et je crois qu’il n’y a pas de mal à le dire. J’aime la fragilité, la naïveté donc, l’élan, la faiblesse humaine. Je n’ai pas envie de me battre sans cesse dans un monde toujours plus dur où la dissimulation et le cynisme est de mise, où l’on doit être fort et beau, joyeux par principe, toujours plus intelligent que le voisin, toujours plus sûr de soi, toujours meilleur. J’aime l’indulgence. À l’égard des autres. Et puis de soi-même aussi. J’aime ce sentiment que l’on n’est pas grand-chose sans l’autre. Et tant pis si cela n’est pas à la mode. En faisant ce film ensemble, nous avons tous cherché à ne dire que cela. Notre travail sur le tournage, leur générosité, leur investissement, leur confiance en moi me touchent. Et ils me manquent. J’attends avec impatience, et un peu d’appréhension, le moment où je pourrai leur montrer le film. Une belle aventure s’achève avec eux. J’espère qu’une autre commencera avec le public.

Revoilà la salle de montage,

je voulais vous montrer un peu comment Raphaële et moi  nous travaillons. Alors voilà, sur les murs, tous ces petits bouts de papiers accrochés représentent les séquences du film mises bout à bout dans l’ordre du montage, ils permettent d’avoir une vision d’ensemble du film. À chaque fois qu’une séquence était montée, je plaçais une petite pastille de couleur sur le coin droit. Ce qui nous permettait de nous rendre compte de l’avancement du montage, mais aussi de sa construction. Lorsque nous avons décidé de casser un peu la continuité du film Raphaële a demandé à Amandine de nous sortir un photogramme de chaque scène (c’est-à-dire en gros une photo tirée des images du film) qui nous permet aujourd’hui d’avoir en images, sur le mur, tout le déroulement du film.

Et nous avons essayé ainsi de changer l’ordre des scènes, notamment au début du film, en déplaçant les photogrammes sur le mur et en reconstituant ainsi à chaque fois le déroulement des séquences. Nous avons ainsi en un coup d’œil tout le film devant nous. Ce qui nous a permis d’essayer certaines choses, notamment de placer la rencontre entre Vince et Hélène (Jacques Gamblin et Caroline Cellier) plus tôt dans le film par rapport à l‘écriture du scénario.

Je crois que l’ordre ne bougera plus trop maintenant. Il nous faut encore raccourcir la durée du film. C’est un déchirement, je m’y résous à contrecoeur. Mais il n’y a pas d’autres solutions. M’en fiche, ferais une version longue rien que pour moi…

1er Novembre

Même aujourd’hui nous travaillons Raphaële et moi. Les salles de montage autour de nous sont désertées. Un calme étrange règne dans les couloirs. Nous sommes comme deux fantômes enfermés dans notre salle. Nous avons de nouveau touché à la continuité du film et je crois qu’enfin nous sommes sur la bonne voie. Comme il s’agit d’un film à tiroirs où les histoires des personnages s’entrecroisent, les possibilités sont multiples mais nous avons en tête de garder la sensibilité des personnages, raconter leur histoire au plus près de chacun d’eux car l’ordre des scènes peut changer la perception sinon le sens de leurs décisions. Vers 20 heures nous avons enfin fini la projection de notre dernière version. Bien sûr il nous reste à améliorer l’ensemble mais je crois que l’émotion des trois histoires montées comme cela, dans cet ordre, demeure. Je retrouve mon scénario. Et plus encore. Le film m’échappe, tout m’échappe. Je crois que tout cela est bon signe. Il existe enfin. Par lui-même. Raphaële est ravie. Je m’efforce de l’être aussi. Je me sens pourtant démuni. Comme abandonné. Etrange sensation. « Fragile(s) » commence sa vie et je ne pourrais plus grand chose pour lui.

On parle de FRAGILE(S) dans le "STUDIO" de Novembre

Article paru dans le Figaro

Le magazine des cinémas Gaumont

Le film Français